Sextoys connectés, durables ou encore non genrés, alors que le marché japonais s’apprête à croître de plus de 800 millions d’euros en quatre ans, nous avons fait le point sur les tendances d’un secteur qui de toute évidence ne connaît pas la crise, tant en France qu’au Japon.
Parfois, mieux vaut laisser parler les chiffres. 825,44 millions d’euros : voilà la prévision de croissance pour le marché des sextoys au Japon entre 2023 et 2027. Un marché en plein boom, promis à un taux de croissance annuel moyen de 10,11 %. Vente en ligne, innovation, adaptation aux changements du marché, inclusion… L’industrie du sextoy n’a rien laissé au hasard pour grappiller de plus en plus de place dans les tiroirs des consommateurs japonais.
Pourtant, si ces derniers semblent désormais vibrer pour ces accessoires pourvoyeurs de plaisir sexuel, il n’en a pas toujours été ainsi. Alors remontons le temps jusqu’aux années 1980, histoire de faire le point sur la question. Les années 1980 sont celles, bien connues, de l’âge d’or de l’économie japonaise, des salarymen qui vouent leur vie à l’entreprise, des femmes encore souvent cloisonnées au foyer, et d’un marché du sexe dominé par des produits au design rudimentaire, principalement pensés par et pour les hommes. Les sex-shops sont peu fréquentables, les quelques sextoys qui s’exposent dans les grands magasins passent quasiment inaperçus tant leur emballage ne laisse rien paraître de leur fonction. Bref, dans ces années-là, le plaisir en boîte n’attire pas les foules et il est presque mal vu d’en remplir son panier. La décennie suivante voit émerger quelques nouveautés en la matière. Le silicone fait son apparition, les vibromasseurs se dotent de plusieurs vitesses et les produits made in Europe ou America garnissent un peu plus les rayonnages. On en parle également davantage, même si leur mention reste encore le plus souvent cantonnée aux magazines pour adultes ou aux émissions télévisées de toute fin de soirée.
Une canette que l’on peut pénétrer
Enfin, changement de millénaire, changement d’aura. Les années 2000, ce sont la déferlante Tenga pour les hommes et Orgaster pour les femmes, les sextoys se parent d’atours plus sophistiqués, l’industrie innove et leur utilisation se normalise. « Le problème que j’ai constaté, c’est que pour une chose aussi normale que la masturbation, les produits destinés à répondre à ces besoins étaient aux antipodes de la normalité. Je savais alors qu’il y avait beaucoup à faire », détaille Koichi Matsumoto, PDG du groupe Tenga, que l’on peut d’ailleurs traduire par « correct et élégant ». « À l’époque, les produits répondant à un besoin aussi fondamental étaient destinés à un public de niche, très singulier, poursuit l’homme d’affaires aujourd’hui à la tête d’un empire. Les illustrations représentaient des petites filles ou des organes sexuels féminins désincarnés, et les noms étaient trop obscènes pour être lus à haute voix en public. Lorsque je pénétrais dans un sex-shop et me baladais au rayon des sextoys, j’étais frappé par un malaise soudain, je ressentais un manque de sécurité, de confiance et d’assurance dans ces produits. » Koichi Matsumoto est à l’époque encore vendeur de voitures d’occasion. Quelques mois plus tard, à force d’abnégation et de multiples essais, est lancé le produit phare de la marque, la Cup : un sextoy qui ressemble en apparence à une canette mais qui renferme une vulve pénétrable.

Mais alors, à quoi ressemble-t-il, ce fameux marché du sextoy dans les années 2010-2020, et surtout, comment expliquer la popularité croissante de l’utilisation de ces godemichés, vulves pénétrables ou plugs anaux dans l’Archipel ? L’une des principales raisons de l’essor du marché des jouets sexuels est l’évolution des attitudes culturelles à l’égard du bien-être sexuel au Japon. Historiquement conservatrice, la société japonaise devient progressivement plus ouverte à la discussion et à la prise en compte de la santé sexuelle. Cette évolution est particulièrement évidente chez les jeunes générations qui sont plus enclines à donner la priorité au bien-être personnel et sont moins stigmatisées par l’utilisation de sextoys.
L’industrie du sextoy suit l’air du temps. Le secteur innove et désormais les utilisateurs se fournissent en jouets télécommandés ou contrôlés via une application dédiée sur leur smartphone. Au tournant des années 2020, l’intelligence artificielle commence aussi à pointer le bout de son nez ; parions que dans quelque temps vos orgasmes n’auront plus aucun secret pour votre sextoy. Mais l’envolée substantielle du secteur est surtout due à l’essor du e-commerce. Pour se fournir en objets générateurs de plaisir, plus besoin de passer la porte de sex-shops parfois peu attirants, ni d’en sortir la tête baissée, le jouet dissimulé au fond du sac à dos. La vente en ligne permet de faire son choix dans l’intimité de son foyer, de comparer les fonctionnalités et de commander en un clic avant de recevoir son précieux directement dans sa boîte aux lettres, comme n’importe quel autre achat de la vie quotidienne.
« Mettre à l’aise sur ces questions intimes »
Une consommation accrue de sextoys que l’on retrouve également sur le marché français, lui aussi en augmentation constante ces dernières années : entre 2020 et 2022, les ventes ont bondi de 153 %. Selon une étude Ifop pour le passagedudésir.fr en 2020, 51 % de la population avait déjà utilisé un sextoy contre 37 % en 2012 et 7 % en 1992. « En France, contrairement à certains clichés qui tendent à réduire l’utilisation des sextoys à une compensation d’une “misère sexuelle”, d’une “exclusion” de la sexualité, on remarque qu’en réalité 46 % des Français les utilisent dans un cadre conjugal, où ils permettent de valoriser les pratiques récréatives à deux plus que seuls (34 %), détaille Jean-Philippe Dubrulle, sondeur au pôle opinion de l’Ifop. Le tabou est tombé, principalement grâce à un changement des circuits de distribution, notamment l’essor de la vente en ligne ou l’achat dans des magasins spécialisés, plus engageants que les sex-shops dits “traditionnels” », analyse-t-il.
Philippe Pruvot est un des fondateurs de ces magasins spécialisés. Après avoir questionné les propriétaires des deux sex-shops au-dessus desquels il habitait alors, il lance Passage du désir, une « boutique de cadeaux pour les grands ». On lui explique que le public qui utilise le plus de sextoys est féminin, mais que la plupart des femmes ne franchissent jamais le seuil de leur boutique. Philippe Pruvot développe alors un concept de magasin érotique « au sens noble du terme », précise-t-il, en « laissant de côté la partie porno et tout ce qui n’était pas bon pour la santé comme le poppers, par exemple. Et puis dans nos boutiques, le gros du travail est surtout de discuter avec les clients, de les mettre à l’aise sur ces questions intimes. Ils sont vraiment demandeurs d’informations car beaucoup de gens n’y connaissent pas grand-chose ».

Un secteur qui se démocratise et qui suit de près, au Japon comme en France, les évolutions et changements sociétaux. En effet, on remarque ces dernières années plusieurs tendances qui semblent s’ancrer sur le marché du plaisir masturbatoire. Tout d’abord, l’arrivée dans les rayonnages de sextoys plus respectueux de l’environnement et de la santé. « Les Français sont en quête de produits les plus naturels possibles, ils sont donc particulièrement attentifs aux substances et aux matières utilisées pour la fabrication des sextoys, des huiles ou des produits lubrifiants. Ils font notamment attention à la présence de bisphénol ou de phtalates », précise Jean-Philippe Dubrulle. Les rayonnages de l’Archipel comme de l’Hexagone se garnissent de multiples gammes de jouets intimes durables, confectionnés à partir de matériaux recyclés, comme ceux composés notamment de moteurs dévissables qui peuvent se brancher sur plusieurs têtes et aux emballages 100 % écologiques.
Autre tendance, la mise en vente de sextoys neutres en matière de genre. Ces produits sont conçus sans se conformer aux normes traditionnelles binaires, les rendant ainsi accessibles et attrayants pour un public plus large et déconstruit. Clitoris, anus, vagin, pénis, certaines marques proposent un large éventail d’utilisation pour un seul et même objet, même s’il faut bien reconnaître que ces jouets genderless ne sont pas encore forcément très nombreux sur le marché, notamment en France. « Nous essayons de répondre à toutes les sexualités et à tous les genres d’utilisateurs, mais ce n’est pas toujours évident. Nous travaillons beaucoup sur le côté inclusif du sextoy, cela passe bien évidemment par une meilleure inclusion des minorités de genre mais aussi des personnes en situation de handicap ou des seniors », souligne Philippe Pruvot.
Un marché encore hétéronormé
Dans une société de plus en plus vieillissante, le public du troisième âge est également une cible privilégiée pour l’industrie du sextoy japonais. « La sexualité est encore taboue pour beaucoup de générations plus âgées, mais je veux qu’elles puissent jouir de leur sexualité. Je veux continuer à repousser les limites pour qu’un jour, la sexualité soit quelque chose que tout le monde puisse apprécier sans honte », lance Koichi Matsumoto, PDG du groupe Tenga. Une de ses concurrentes, la marque Goku, a quant à elle déjà lancé la production de sextoys capables de s’adapter à des utilisateurs à la mobilité et à la sensibilité réduites : les matériaux sont plus doux et le spectre de vitesse de vibration est plus large.
On est quand même dans une société hétéronormée à laquelle beaucoup d’hommes sont encore sensibles. Il persiste donc des barrières et des tabous, notamment autour des stimulateurs prostatiques ou des vaginettes.
Si les tendances sur le marché du sextoy japonais et français semblent portées par des courants similaires, lorsque l’on y regarde de plus près, on note une différence notable concernant les utilisateurs, et c’est sans doute là que se niche le plus grand challenge pour chacun des deux pays. Masturbateurs, cockrings, gaines d’extension péniennes, poupées sexuelles, jouets prostatiques… Au Japon, ce sont principalement les sextoys pour hommes qui dominent le marché. Ils les achètent, les utilisent, et ce, qu’importe qu’ils soient hétéros ou homosexuels. En France, on constate la tendance inverse : ce sont surtout les sextoys féminins qui sont le plus vendus et lorsque les hommes (hétérosexuels du moins) passent la porte des boutiques « physiques », c’est bien souvent pour offrir un cadeau à leur partenaire plus que pour leur usage personnel. « Il y a un vrai rapport de genre dans le sextoy. Le sextoy masculin semble moins visible, moins admis, souligne Jean-Philippe Dubrulle. On est quand même dans une société hétéronormée à laquelle beaucoup d’hommes sont encore sensibles. Il persiste donc des barrières et des tabous, notamment autour des stimulateurs prostatiques ou des vaginettes. Le marché du sextoy français est traversé par des normes hétéros très puissantes. »
Si, le 31 juillet 2021, Tenga a réussi à envoyer dans l’espace un de ses sextoys, gageons que la France et le Japon réussiront à faire évoluer les mentalités encore très genrées de leurs citoyens.

L'été sera chaud
En vente iciTempura en illimité

