Pour Sayoko Sugiyama, le wagashi doit révéler son identité et sa personnalité dans son apparence et dans l’histoire qu’il veut raconter, avant même d’être goûté. Inspirées par le temps qui passe, les éléments, mais aussi les saisons, les pâtisseries de la maison Okashimaru se donnent pour mission d’offrir une expérience unique, nourrie de réminiscences et d’émotions, en seulement quelques secondes de dégustation.

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Ce petit bâtonnet sucré met en scène un dégradé de rouge. À l’extrémité, du blanc, puis plusieurs nuances d’orange se succèdent avant d’atteindre le vermillon, l’incandescent. Avec cette confiserie, Sayoko Sugiyama a voulu représenter le soleil qui se lève, métamorphosant le ciel en quelques minutes. « À l’image du soleil qui change la composition du ciel, le goût du wagashi évolue avec lui », explique la fondatrice de la pâtisserie Okashimaru, basée à Kyoto depuis 2014. Dans la palette de saveurs qui se déclinent à mesure que l’on mange le bâtonnet qui croque sous la dent, c’est tout d’abord la menthe « qui symbolise la fraîcheur du matin », puis le citron, la plante de kuromoji avant de terminer avec le fruit de la passion et la framboise qui « concentrent l’expression de la chaleur du ciel embrasé ». Sur le papier, le premier réflexe pourrait être de penser que ce mariage de parfums promet la confusion et la cacophonie : or il n’en est rien, bien au contraire. La palette est bien là, intacte, la surprise accompagne l’émerveillement. Sayoko Sugiyama offre un enchantement dans cet équilibre délicat et subtil des saveurs et nous fait vivre sa promenade au gré du soleil.

Le wagashi doit transmettre une philosophie, des valeurs tout autant que des émotions.

Elle nous raconte une histoire, celle du temps qui passe : cette sucrerie du soleil est d’ailleurs une composante de sa réflexion sur le temps, qu’elle a baptisé Grand Seiko en référence à la célèbre montre. Au cours de cette dégustation qui avait lieu dans un grand magasin de Tokyo, elle proposait de déguster son interprétation des déclinaisons temporelles en wagashi : l’instant, la minute, le jour et la semaine. La minute est le fameux lever du soleil, le jour est une composition autour d’épices et d’eau au cœur d’un mochi. L’instant est une petite montagne violette, surmontée d’un petit nuage épuré : le yama-budo, la « montagne-raisin » est le petit dernier de l’atelier Okashimaru où le goût du raisin est rehaussé par une meringue figée dans une gélatine kanten. « Il représente ce moment durant lequel la couche de glace qui se trouve au sommet de la montagne va fondre », détaille avec poésie la jeune pâtissière.

Sayoko Sugiyama

Le goût d’un nuage

Les éléments, le passage des saisons, le temps qui défile, tout comme son quotidien à Kyoto où elle vit avec son mari et sa fille, ou la littérature japonaise, en particulier la forme poétique du waka, sont pour Sayoko Sugiyama des sources d’inspiration inépuisables. Attachée aux objets, c’est aussi par le biais d’une belle assiette que l’idée peut venir. « Dans la cérémonie du thé, les ustensiles ne sont-ils pas des acteurs majeurs du moment de la dégustation ? » interroge-t-elle. Elle n’oublie pas non plus que ses wagashi sont souvent offerts en conclusion d’un repas kaiseki, un menu qui se compose d’une succession de plats et dont la pâtisserie, accompagnée d’une boisson chaude, en est l’apothéose finale. « La bouchée qui marque la fin de la dégustation doit être mémorable », estime-t-elle.

En plus de l’histoire, le nom du wagashi est aussi « très important ». Il ne doit pas se contenter de décrire les ingrédients utilisés dans la préparation : « Il doit raconter quelque chose. » Parmi ses créations, l’interprétation du sasame-yuki : comme le soleil ou la pluie, la neige possède plusieurs noms dans la langue japonaise pour distinguer ses différents niveaux d’intensité. « Le sasame-yuki désigne une neige fine que j’essaie de représenter en pâtisserie », explique-t-elle. Dans son livre publié en 2018, Sayoko Sugiyama l’avait promis : ses pâtisseries seraient un voyage, une expérience, un souvenir et un appel à l’utilisation de nos cinq sens. Sur la couverture de son ouvrage, l’un de ses « Fruits minéraux », comme suspendu à la branche d’un arbre, donne le ton : encore une fois, un concentré de fruits, qui représente un morceau de nature à l’état brut. La confiserie peut prendre la forme d’un paysage, interpréter le goût d’un nuage, d’un bourgeon de fleur, d’un parterre d'herbe fraîche ou d’un nid d’oiseaux. « En faisant appel à nos cinq sens, les wagashi évoquent ainsi nos souvenirs et se déposent dans nos mémoires. »

Sayoko Sugiyama, 39 ans, pourrait très bien être l’une des héroïnes des romans d’Ito Ogawa, qu’il s’agisse de la gérante du Restaurant de l’amour retrouvé ou de la calligraphe de La Papeterie Tsubaki. Très concentrée et créative, elle évolue dans le monde qu’elle s’est créé, tout en finesse et en poésie. Lorsqu’elle s’apprête à parler de wagashi, elle ne sort pas ses ustensiles, mais une pile de livres qui l’ont marquée et qu’elle prend plaisir à feuilleter, comme si elle retrouvait de vieux amis. Son premier souvenir de wagashi, c’est assurément dans un livre qu’elle l’a éprouvé. « L’expérience du wagashi se fait dans le moment présent de la dégustation, dans le visuel, dans l’assiette qui compte tout autant que la pâtisserie, explique-t-elle. Le wagashi doit transmettre une philosophie, des valeurs tout autant que des émotions. » Il convient avant tout de s’interroger sur « le message que [l’on veut] transmettre. Quelle est l’intention ? L’énergie ? ». Son souhait est de parvenir à créer un univers qui se dévoilerait en une simple bouchée. « L’harmonie du nom, du visuel et enfin du goût permet de provoquer l’imagination, c’est cet effet que je recherche. C’est en cela que je trouve que la culture du wagashi est intéressante. »

Un souvenir de voyage

Ne cherchez pas à visiter la boutique Okashimaru, pour la simple et bonne raison que l’atelier n’a pas pignon sur rue et n’ouvre pas au public : il vend l’intégralité de sa production en ligne. À l’avenir, Sayoko pourrait réfléchir à une façon de présenter ses wagashi dans sa propre boutique, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Sa clientèle fidèle repose sur des maisons de thé, des restaurants, mais aussi des particuliers, « surtout des femmes », de tout le pays qui s’empressent d’ajouter leur nom sur la liste d’attente. Cet après-midi-là, c’est derrière des volets fermés que se composent les petites merveilles de son atelier. Les fouets électriques battent les liquides, les balances mesurent la quantité de kanten, de minuscules récipients patientent dans l’attente de recevoir les précieux mélanges avant de partir au frais. Ce sont uniquement des femmes qui travaillent à la confection des 25 sortes de pâtisseries Okashimaru : elles sont entre trois et cinq à épauler Sayoko, en fonction des besoins et de l’activité. Toutes ont en elles, chevillée au corps, cette volonté de renouer avec le fondement du savoir-faire du wagashi pour le sublimer.

Concentrée et déterminée, Sayoko explique la composition de ses recettes, tout en gardant un œil sur ce qui se passe aux fourneaux, et s’interrompt dans son flot de paroles pour donner quelques conseils avisés. Cette femme de caractère a du mal à rester en place. Ses consignes, bienveillantes, sont toujours fermes et assurées : « Ici, le geste est comme tel. Attention à la quantité, ne fige pas trop avec le kanten. Attends une seconde, pour mieux comprendre la texture, il faut que tu goûtes. » En termes de saveurs, le wagashi n’explore pas une grande variété de goûts. Le thé vert, le haricot rouge, le fruit reviennent souvent. « On se concentre sur un goût pur, des saveurs franches, et puis sur l’apparence », confirme l’experte. Le mariage avec la boisson est également important dans la composition du wagashi : elle est réfléchie en fonction du type de thé servi. S’il est vert, grillé ou noir, « le goût de la pâtisserie sera différent ».

En parallèle de ses pâtisseries modernes et originales, elle aime aussi sublimer les gâteaux du quotidien en jouant sur les textures pour les rendre d’autant plus réconfortants et légers, à l’instar du mochi qu’elle enveloppe dans une feuille de figuier. Un petit cadeau que l’on ouvre avant de découvrir le gâteau et de déguster sa texture fondante. Dans la pratique, « le wagashi est aussi un souvenir que l’on ramène de voyage : chaque région du Japon possède sa propre spécialité. Près des temples, on trouve souvent des vendeurs de manju ou d’ohagi », ces pâtisseries familiales fourrées au haricot rouge. C’est aussi à tous ces lieux, à tous ces endroits où l’on sert du thé et des petits gâteaux que Sayoko pense lorsqu’elle crée ses wagashi. Mais aussi, et surtout, aux personnes qui les mangeront : « Nous avons beau les vendre en ligne, j’aime me dire que nos clients vont devoir réfléchir à l’endroit où ils vont les servir. Je pars du principe que si j’ai envie de le manger, les personnes en auront également envie : c’est essentiel, je pense. »

Faire moins pour faire mieux

Originaire de Mie, Sayoko fait ses études à Kyoto avant de rejoindre l’institut Le Cordon bleu à Kobe pour apprendre les techniques de la pâtisserie. « C’était très instructif, j’ai appris beaucoup sur les goûts, les produits », se remémore-t-elle. Elle développe ses connaissances et en apprend aussi davantage sur les textures et les spécificités de la fabrication. « La technique de la pâtisserie occidentale est aussi intéressante. J’aime beaucoup le mille-feuille par exemple. Mais c’est une approche très différente, elle n’est pas du tout pensée de la même façon. Le wagashi est plus discret, sa profondeur se trouve ailleurs, développe Sayoko. Il demande aussi une certaine éducation du palais. Prenez le mochi, il faut en avoir fait l’expérience : je pense que la première fois qu’on le goûte, tout comme la pâte de haricot sucré d’ailleurs, on est surpris, déstabilisé, et puis on s’habitue et on apprend à l’apprécier et à l’aimer. » Après ses études, elle travaille une quinzaine d’années dans le milieu du wagashi traditionnel, ce qui la fait notamment voyager à l’étranger, en Chine et aux États-Unis. Elle fait ses armes dans la maison Oimatsu. « Au Japon, le wagashi, c’est un milieu d’hommes, déclare-t-elle. Il y avait aussi des artisans femmes, comme moi, mais les hommes étaient plus nombreux : il faut une certaine force physique. Il fallait porter ces gros sacs d’ingrédients qui pouvaient peser jusqu'à 30 kilos. » À cette époque, les wagashi sont confectionnés avec soin, mais sans le souci de la réflexion auquel elle aspire.

Pour Sayoko, c’est du gâchis. Une fois rentrée chez elle, le soir, elle continue de faire des tests, des essais pour améliorer les recettes. Elle ressent le besoin d’exprimer sa créativité autrement. Si elle qualifie volontiers le wagashi comme un milieu professionnel masculin, à Okashimaru, ce sont pourtant bien des femmes qui font tourner la boutique. « Chacune fait ce qu’elle peut, en une journée, en fonction de ses capacités. À l’entreprise, il fallait confectionner de grandes quantités : cela rendait le métier très physique. Ce n’est pas cela que je veux pour Okashimaru. » Faire moins, c’est aussi faire mieux, en apportant plus de soin à chaque détail. Elle montre dans un livre qu’elle avait gardé à portée de main un autre gâteau, interprétation des chutes d’eau d’une cascade. La réflexion complexe autour d’un wagashi, telle qu’elle la conçoit, ne fait pas bon ménage avec le rendement ou la surenchère d’un goût très riche. « La pâtisserie française, c’est le feu d’artifice en matière de goût. Le wagashi, c’est le son du gong qui retentit dans l’enceinte du temple. ».

Sayoko Sugiyama, (le wagashi) le goût du souvenir

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Texte

Johann Fleuri

Photos

Takuya Rikitake