Aux abords de chaque grande gare tokyoïte, généralement au niveau de la sortie, vous trouvez un pachinko – reconnaissable à ses néons criards, au vacarme de ses cliquetis mécaniques et de sa musique électronique et à ses centaines de clients, le visage éclairé par ces machines colorées qu’ils nourrissent de leurs économies, dans l’espoir de décrocher le jackpot. Le Japon n’a pas de casinos – pas encore –, mais vous êtes à côté de la plaque si vous croyez que les jeux d’argent n’ont pas cours ici. Le pachinko, sorte de pinball vertical, existe de manière quasi légale à une échelle industrielle, ayant généré près de 160 milliards d’euros en 2017. Douze ans plus tôt, en 2005, ce chiffre s’élevait à 250 milliards. Dans la campagne japonaise, les buildings lumineux abritant les pachinko se trouvent parfois en plein milieu d’une rizière, jouxtant un parking géant. C’est la principale source de divertissement pour certains endroits reculés du Japon où la vie urbaine est presque inexistante.
Mais les joueurs de pachinko prenant de l’âge et les jeunes y prêtant peu d’intérêt, le marché se rétrécit. Les sommes dépensées représentent encore toutefois environ 4 % du PIB du Japon. Techniquement, les pachinko devraient être illégaux. La façon dont ils ont réussi à survivre et à se développer en dit long sur le Japon moderne. Et leur existence est aussi sans doute la raison pour laquelle près de 8 Japonais sur 10 sont toujours opposés à l’introduction des casinos dans le pays.
Cartouches de cigarettes et coussins Hello Kitty
Alors que les premiers pachinko ressemblaient à de simples pinballs verticaux, ils sont depuis devenus beaucoup plus complexes et tapageurs. Le terme « pachinko » vient du bruit des machines (pachin) ; c’est une onomatopée pour signifier un « clac » ou un « bing ». Le « ko » vient quant à lui de « catapulte », faisant référence à des jouets populaires durant l’ère Taisho (1912-1926) et au catapultage des billes. Le premier pachinko a ouvert ses portes à Nagoya peu après la Seconde Guerre mondiale, en 1948.
Voici les règles du jeu originelles. Contre une pièce de 100 yens, on vous donnait une poignée de billes de métal que vous versiez dans la machine de votre choix. Vous propulsiez les billes vers le haut de la machine, et elles retombaient alors en rebondissant sur les clous métalliques plantés en travers d’un plan vertical. Si vous aviez de la chance, les billes tombaient dans des trous, déclenchant un jackpot vous donnant droit à des billes supplémentaires. Si vous aviez beaucoup de chance, vous vous retrouviez avec une pluie de billes métalliques que vous pouviez alors échanger contre différents prix. C’était un divertissement bon marché : pour quelques centaines de yens vous aviez droit à du fun sans prise de tête, avec parfois même un cadeau à la fin. Pour le salaryman moyen, le pachinko permettait de tuer le temps sans se ruiner à la pause déjeuner. Il y a quelque chose d’hypnotisant à regarder ces cascades de billes et leurs infinis sons métalliques, bips, pings, et autres bruits assourdissants – ce qui fait des pachinko un endroit merveilleux si vous avez une légère tendance autistique. Il y a deux ou trois ans, des allées pleines d’hommes crachant des nuages de fumée de cigarette pendant qu’ils regardaient leurs billes monter et descendre était plutôt commun ; aujourd’hui, fumer est interdit dans la plupart des pachinko. Dans les allées, des employés habillés comme des travailleurs de casino patrouillent à la recherche de canettes ou de gobelets de café vides, ramassant ici et là une bille qui traîne ; et lorsqu’un client touche le jackpot, ils s’empressent de l’aider à rassembler les billes dans des corbeilles en plastique – évitant par là une mauvaise scène de comédie où quelqu’un glisserait sur les milliers de billes répandues au sol.
Les clients sont principalement des hommes dans la quarantaine, mais il y a de plus en plus de seniors. Chaque année en effet, cette population vieillit alors que les plus jeunes semblent préférer les simulations de pachinko sur iPhone
– le travail précaire ne faisant qu’augmenter, c’est surtout qu’ils n’ont pas les moyens de se payer ce genre de divertissement.
Cela dit, il n’est pas rare de voir une longue file d’attente devant certains pachinko avant l’ouverture. Un ancien joueur professionnel (un pachi-pro) m’expliquait qu’en général, les machines fraîchement installées ont plus de chances de générer des gains, et certaines machines ont meilleure réputation que d’autres. Ainsi, les joueurs sérieux se pointent aux aurores pour avoir une chance de s’installer aux meilleures machines. Certains jours, l’ordre d’accès au pachinko est tiré au sort ; si vous avez de la chance, vous entrerez en premier. De nos jours, la plupart des machines de pachinko sont électroniques. Les billes sont catapultées en tournant une manivelle rouge. L’équivalent de 1 000 yens (8 euros) de billes peut être expulsé en moins d’une minute. Il faut une certaine somme d’argent si l’on veut espérer un retour sur investissement. Les machines de pachinko-slot combinent quant à elles le ping-pong étourdissant des billes et l’excitation des machines à sous. Le modèle Lucky Seven est particulièrement populaire : lorsque les trois 7 s’alignent, les portiques s’ouvrent et déversent l’équivalent de 5 000 yens de billes. Dans la plupart des pachinko, vous déposez vos billes dans une machine de comptage qui vous donnera un reçu, que vous pourrez ensuite utiliser pour obtenir des prix. Le comptoir des prix ressemble à un petit conbini avec des fruits, des bouquins, des cartouches de cigarettes (bien sûr), des coussins Hello Kitty et même des sous-vêtements. Mais beaucoup de clients ont leurs yeux rivés sur un autre type de récompense : le vrai cash.
Zone grise
L’industrie des pachinko au Japon se trouve dans une zone grise d’un point de vue légal, car ils ne sont pas clairement exclus de la Loi de régulation des jeux d’argent. La disposition 185 du Code pénal japonais bannit tous les jeux d’argent, les punissant d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 yens (400 000 euros), parfois assortie d’une peine de prison. Cependant, il est autorisé « d’offrir des prix et récompenses dans le cadre d’un divertissement ponctuel ». Ainsi, au Japon, vous pouvez offrir un prix au gagnant d’un tournoi de bowling, tout comme à celui d’une machine de pachinko. Même si, il est vrai, la seule chose en commun entre le pachinko et le bowling est le fait d’utiliser des boules. La « Loi sur la moralité publique », également connue sous le nom de « Loi sur les divertissements pour adultes », classe le pachinko comme une « entreprise de type 7 ». La police a le pouvoir de limiter la valeur des prix et le type de marchandises que les exploitants de pachinko peuvent distribuer. Cependant, depuis les années 1960, il existe un « système tripartite » qui permet aux joueurs de pachinko un tant soit peu habiles de ne pas seulement gagner un prix, mais de se faire du fric.
Comme je l’ai déjà dit, techniquement, le Code pénal japonais interdit tous les jeux d’argent. Ainsi les salles de pachinko ne peuvent pas reverser directement de l’argent aux joueurs. Et c’est là qu’interviennent les stands d’échange. En pratique, les joueurs qui ne veulent pas de coussin Hello Kitty mais des espèces sonnantes et trébuchantes, apportent une récompense au design spécial à un petit stand situé près de la salle de pachinko et l’échangent contre de l’argent. En vertu des dispositions de la loi sur la moralité publique, il est illégal que cette cabine d’échange « revende » ensuite la récompense directement à la salle de pachinko. Il est également illégal que le kiosque d’échange et le pachinko appartiennent à une même personne. Il est toutefois permis au stand d’échange de vendre des prix à une troisième société qui, elle, se chargera de revendre au pachinko… Pendant de nombreuses années, cette zone grise dans laquelle se situait l’industrie du pachinko a permis aux yakuzas de s’attaquer aux propriétaires des pachinko et de leur extorquer de l’argent.
Le système est né dans l’après-guerre, alors que les cigarettes, devenues rares, étaient une denrée de contrebande précieuse. Avec la prolifération des salles de pachinko et l’intensification de la concurrence, certains endroits ont commencé à distribuer des cigarettes comme récompense. Les yakuzas traînaient alors dans les pachinko et achetaient le tabac gagné aux clients pour 60% à 70% de leur valeur au détail. Ils y ajoutaient un pourcentage pour frais de service, puis les revendaient directement aux pachinko. Les joueurs aimaient gagner de l’argent et les pachinko adoraient avoir des joueurs avides d’argent fréquenter leurs établissements. Les yakuzas quant à eux appréciaient les revenus réguliers. C’était le début du système tripartite. Peu à peu, les stands d’échange se sont installés à l’extérieur des pachinko, dans ce que l’on a appelé les keihin kokanjo. Pendant des décennies, les pachinko ont payé de larges sommes d’argent aux yakuzas – bien qu’avec la surveillance de la police, il était quasiment impossible pour un membre de la pègre de contrôler directement une salle. Avec tout l’argent qui transitait par les salles de pachinko, la mafia a commencé à proposer des services de sécurité tels que SECOM, pour éviter que les sacs de cash ne soient dérobés. À Kobe, les salles de pachinko reversaient entre 300 000 et 500 000 yens par mois (entre 2 300 et 3 900 euros) au Yamaguchi-gumi 1. À Tokyo, la police a longtemps laissé les pachinko tranquilles et fermait les yeux pendant que les yakuzas récoltaient leur commission (mikajimeryo). D’après un inspecteur de police chevronné du secteur de Shinjuku, c’était une manière de garder les yakuzas dans le rang. Si les choses tournaient au vinaigre et qu’ils commençaient à faire trop de grabuge, la police menaçait de couper les revenus des pachinko. C’était une menace efficace le temps qu’elle dura, car les pachinko représentaient une source de revenu colossale pour les yakuzas. En 1992, la mafia percevaient environ 60 milliards de yens (470 000 millions d’euros) par an avec les 1 500 pachinkos du grand Tokyo. Au début des années 1960, la police a commencé à tomber sec sur les yakuzas, essayant notamment de les évincer de l’industrie. Mais c’est bien en opérant elle-même le système d’échange qu’elle réussit finalement à leur porter le coup de grâce.
Petites boules, gros montants
Aujourd’hui, à Tokyo, la majorité des boutiques d’échange sont gérées par la police métropolitaine elle-même à travers les stands TUC. Le but de la manœuvre était de contrôler l’industrie en la consolidant afin d’en évincer la pègre. Cela leur a aussi permis, accessoirement, de sécuriser des emplois plutôt lucratifs pour leurs vieux jours dans une industrie qu’ils contrôlaient eux-mêmes lorsqu’ils étaient encore en service. Les TUC comptent donc un certain nombre d’anciens flics à la retraite parmi leurs cadres. Bien qu’il soit tabou d’en parler, il n’est pas rare de croiser aussi d’anciens vétérans de la presse criminelle, qui travaillent désormais pour la section relation médias de la Pachinko Industry Association, créant une sorte de pont entre l’industrie, la police et les médias… et aidant ainsi à tempérer la mauvaise presse autour des pachinko.
Bien que l’administration Abe ait finalement légalisé les casinos, la mesure a rencontré une vive opposition du public et de l’industrie des pachinko elle-même – qui est très puissante. Le marché des pachinko, qui pèse près de 160 milliards d’euros, est à peu près comparable à celui des casinos aux États-Unis – bien que, en l’occurrence, un joueur typique de pachinko dépense en moyenne quatre fois plus qu’un client de casino américain. Les pachinko sont souvent moqués, mais cela ne les empêche pas de faire partie des plus puissantes industries japonaises aux côtés de l’automobile et de la santé. Selon des statistiques récentes, près de 230 000 personnes travailleraient dans ce secteur (aux États-Unis, 360 000 personnes travaillent pour les casinos), et 11 millions de personnes joueraient au pachinko chaque année, soit environ 1 Japonais sur 12. Nombreux sont ceux qui souhaitent une part du gâteau, police incluse. Dans les cinq années qui viennent, on considère qu’en moyenne 1 000 policiers à la retraite obtiendront des postes privilégiés dans le business des pachinko. C’est également une des rares industries ouvertes aux ex-détenus, et même aux anciens yakuzas – bref à tous les gens du mauvais côté de la loi. La plupart des salles font peu de cas du curriculum et fonctionnent uniquement à la méritocratie. Si vous travaillez dur, vous pourrez vous élever dans la hiérarchie. Dans un sens, les salles de pachinko représentent un peu l’emploi de la dernière chance pour les marginaux du Japon, un peu comme l’étaient les yakuzas à une époque.
Le côté obscur des pachinko
Malgré leur classification dans la catégorie « divertissement », il ne fait pas de doute que les pachinko sont aussi des salles de jeux. Une étude de 2017 menée par l’Université d’Ochanomizu sur l’addiction au pachinko a conclu que près de 900 000 personnes au Japon étaient tellement accros au pachinko que cela affectait leur santé mentale, financière ainsi que leurs relations de travail. Une grande part des personnes de l’étude présentant une forme d’addiction au pachinko étaient divorcées et n’avaient plus d’argent. Le Japon possède même un outil d’analyse pour diagnostiquer l’addiction au pachinko : le PPDS (Pachinko/Pachislot Playing Disorder Scale), qui liste 27 symptômes d’un accro au pachinko. Dans une étude plus généraliste, le ministère de la Santé a conclu en 2013 que 4,8 % de la population était dépendante au jeu, soit plus de 5 millions de personnes. Il n’est pas rare pour les personnes dépendantes de souscrire des prêts à la consommation, voire de faire appel à des usuriers pour pouvoir entretenir leur addiction. En août 2020, le directeur d’un bureau de poste du Hokkaido a volé 600 000 yens (4 700 euros) à un distributeur automatique de son agence pour pouvoir continuer à jouer au pachinko. Les salles de pachinko ont ce côté hypnotique qui vous incite à jouer pendant des heures sans interruption. Depuis le milieu des années 1990, il y a eu de nombreux cas de décès d’enfants pendant que leurs parents étaient plongés dans leur partie de pachinko. En août 2020, la mère d’un bébé de 5 mois, Takako Sato, a été arrêtée pour homicide involontaire après avoir laissé son fils Ryosuke dans sa voiture sur le parking d’un pachinko pendant plusieurs heures dans la chaleur de l’été. Aujourd’hui, la plupart des pachinko ont installé des pancartes rappelant aux parents de ne pas laisser d’enfants dans leur voiture, tandis que des employés font des rondes sur les parkings.
L’industrie a eu son lot de scandales au fil des ans. Dans la préfecture de Saitama, dans les années 1990, le Sumiyoshi-kai2 falsifiait les reçus des grands pachinko et les utilisait pour obtenir du cash dans les centres d’échange. Des voyous collaboraient aussi avec des employés de pachinko pour remplacer les composants de certaines machines afin d’assurer de gros gains à leurs complices. Enfin, des yakuzas publiaient des magazines de pachinko, fournissant de fausses informations aux lecteurs et leur promettant des techniques douteuses pour gagner à coup sûr. Les pachinko eux-mêmes peuvent entraîner des comportements douteux.
Il y a les joueurs qui volent des billes, les prostituées qui rodent dans les allées à la recherche d’un client ayant touché le jackpot. Et des joueurs frustrés qui versent du café dans les machines.
En Corée du Sud, les pachinko sont devenus extrêmement populaires à partir des années 2000. Mais après une recrudescence des cas d’addiction au jeu et d’endettements, des suicides et des violences liés au pachinko, le gouvernement a décidé de les interdire en 2006.
Un bouc émissaire confortable
Les pachinko sont une industrie importante au Japon, ils soutiennent l’économie. Mais ils sont aussi régulièrement utilisés comme punching-ball pour les sentiments anti-Coréens. Dans certaines strates de la société japonaise, il y a encore aujourd’hui une haine anti-coréenne profondément ancrée, que des groupuscules d’extrême-droite tels que le Nippon Kaigi ou le Zaitokukai exploitent au mieux. Avec la pandémie de Covid-19, ces sentiments ont ressurgi. Les salles de pachinko, pour la plupart tenues par des Japonais-Coréens (voir encadré), étaient présentées parmi les principaux clusters dans les déclarations officielles du gouvernement. Malgré la fin de l’état d’urgence et la réouverture de la plupart des commerces, seuls les pachinko et les night-clubs ont été priés de rester fermés. Légalement, les autorités n’ont pas le pouvoir d’imposer de fermeture administrative, mais seulement de la « demander ». Certaines salles de pachinko à Osaka et Tokyo ont d’ailleurs refusé de fermer leurs portes. Lorsque le gouvernement d’Osaka a dévoilé le nom des salles dissidentes afin de les humilier publiquement, cela s’est retourné contre lui : dès le lendemain, des centaines de personnes se sont retrouvées à faire la queue devant les salles restées ouvertes. C’était mieux qu’une publicité gratuite.
Dans les faits, il n’y a pas eu un seul cluster de Covid-19 identifié dans une salle de pachinko. Les entreprises, les hôpitaux, les maisons de retraite, les karaokés, les restaurants et les night-clubs ont tous été le lieu d’infections ; pas les pachinko, où la plupart des clients ne parlent pas et passent la plupart du temps à regarder leur écran en silence.
Mais cela n’a pas empêché le gouvernement et une partie de la presse d’essayer de diaboliser l’industrie. En avril 2020, le gouverneur d’Osaka tweetait qu’il était grand temps que la zone grise des pachinko soit supprimée. Beaucoup ont perçu cela comme une petite vengeance envers les fans de pachinko, prêts à sacrifier leur vie pour jouer. Qui aurait pu deviner que cela serait un pari gagnant ? Les joueurs ont continué à perdre de l’argent pendant l’état d’urgence, mais apparemment personne n’a perdu la vie en fréquentant une salle de pachinko.
Hasard bête et méchant
Il existe deux activités liées au pachinko depuis des décennies qui sont actuellement en voie de disparition ; les mots qui s’y réfèrent sont presque des « mots morts » (shigo) de la langue japonaise : le joueur de pachinko professionnel – ou pachi-pro – qui vivait de son jeu légalement, et le goto-shi, un genre de criminel spécialisé qui vivait de son jeu illégalement. Le goto-shi, au bon vieux temps, utilisait toutes sortes d’outils pour manipuler les boules et augmenter ses gains, allant des simples aimants à des techniques beaucoup plus sophistiquées consistant à reprogrammer certaines machines pour qu’elles crachent plus de billes. Il y avait même des goto-shi qui avaient découvert qu’en utilisant des tasers ils pouvaient dérégler la machine pour gagner plus facilement. Les goto-shi ont disparu depuis que la police est beaucoup plus impliquée dans la sécurité des pachinko, que les salles ont installé des caméras de surveillances 24h/24 et que les employés sont sous surveillance constante. Il est devenu plus facile de voler une banque que d’arnaquer un pachinko. De nos jours, la reconnaissance faciale a rendu quasi-impossible pour un goto-shi de s’approcher d’un pachinko sans se faire attraper. Le mot a presque disparu du vocabulaire courant. C’est cette même technologie qui a rendu la vie impossible aux pachi-pro. Yusuke Aoyama, 53 ans, manager d’un supermarché à Saitama, était l’un d’eux. « Les bons mois, je pouvais me faire 500 000 yens (3 800 euros). On étudiait les patterns des machines, et on lançait les billes au bon moment pour toucher le jackpot. Il était encore possible de gagner plus que ce qu’on mettait dans les machines. Aujourd’hui, c’est devenu mission impossible. »
Hideaki Nakayama, de la Japan’s Game Industry Association, qui représente entre autres les salles de pachinko, me disait en 2018 : « N’importe qui peut gagner à une machine à sous, c’est juste un coup de chance en tirant le levier. Au pachinko, c’est vrai qu’il existait de bons joueurs, avec de la technique. Ils savaient quand tourner la poignée, quand l’arrêter, et maîtrisaient les subtilités pour contrôler un tant soit peu la direction des billes. » Il est peut-être vrai que, à une époque, on pouvait gagner au pachinko avec un mélange de savoir, de précision et de maîtrise ésotérique. Mais ces temps ont disparu à tout jamais.
L’ancien pachi-pro Aoyama affirme que sur les vieilles machines, on pouvait déterminer à hauteur de 10% les chances de gagner ou de perdre. Aujourd’hui, c’est moins de 3%. Il y avait beaucoup de techniques à apprendre, comme ne pas toucher les billes avec les mains, ou jouer du poignet en tournant la manivelle dans le sens inverse. Si vous étiez fin observateur, vous pouviez dire quelle machine allait bientôt atteindre son état de « fièvre ». De nos jours, les machines sont conçues pour produire un jeu de pur hasard, bête et méchant : aucune compétence requise. Par ailleurs, de nombreuses salles interdisent désormais l’accès aux joueurs trop chanceux. « Même si vous arrivez à gagner, vous êtes vite fiché, et au bout d’un moment vous ne pouvez plus entrer dans les pachinko », se désole-t-il. Ses revenus de pachi-pro ont considérablement chuté au fil des ans ; il a fini par se retirer de la course en 2016.
Mais joue-t-il encore ? « Pas du tout. Si je veux gagner de l’argent en me reposant uniquement sur de la chance stupide, il vaut mieux que j’achète un billet de loterie. Les seules personnes qui jouent encore au pachinko sont des personnes âgées qui n’ont rien d’autre à faire… ou des pigeons. » Si vous voulez tout de même vous faire pigeonner, Aoyama vous recommande n’importe quel pachinko de la chaîne Maruhan. « Ils ont des instructions en anglais et en français. Et l’endroit est plutôt propre. Parfois, vous pouvez même gagner – si vous êtes chanceux, pas si vous êtes bon. » .