Qui a dit que les zombies étaient forcément tristes ? À l’occasion de la sortie de son cinquième album (STRESS de STRESS) le 15 mai 2022, la musicienne électro Zombie-Chang nous démontre le contraire et appelle même les Japonais au lâcher-prise. Confessions sans pression.
Des cheveux longs à l’hygiène douteuse, nu comme un ver, posé sur la cuvette des toilettes. Voilà l’inoubliable théâtre choisi par Frank Zappa en 1967 lors d’une session de photos pour l’International Times, revue culte londonienne – et copié trente ans plus tard par Marilyn Manson, les tatouages en plus. C’est dans la même position, mais habillée, les cheveux blonds parfaitement coiffés et dans un décor à la blancheur virginale que l’on découvre Zombie-Chang sur la pochette de son cinquième album STRESS de STRESS. « Une coïncidence », jure-t-elle. Mais méfiez-vous de ses allures de poupée sage. L’éclectique électro-girl est tout l’inverse et le prouve avec une verve qui n’aurait pas déplu au père des Mothers of Invention : « La symbolique de cette photo est la suivante : toutes les œuvres que je produis sont excrétées du plus profond de moi. J’ai donc choisi les toilettes. Et je n’y vois rien de sale. » Propre.
Système D perpétuel
S’encombrant assez peu de ce qu’on peut penser d’elle, Meirin Yung alias Zombie-Chang, la vingtaine triomphante, est d’un tempérament direct. Approche qu’elle développe également dans sa musique minimaliste depuis 2013. Une carrière démarrée avec ce nom étrange – choisi « pour sa sonorité » – et pour la plus évidente des raisons : « Je pensais que j’allais gagner de l’argent avec cette activité », se marre-t-elle. Le plan ne s’étant pas exactement déroulé comme prévu, elle a aussi accepté de jouer les mannequins pour Kangol, Agnès B ou encore Microsoft. « C’était aussi un moyen de me promouvoir, même si j’avais peur que ça m’enferme et qu’on ne me parle plus que de mon apparence, resitue-t-elle. Mais j’ai réussi à trouver mon équilibre maintenant. Lorsque je suis mannequin, je suis contrainte. Ensuite, cette contrainte devient bénéfique, car elle provoque en moi un besoin de libération. Je deviens explosive. C’est l’état qui me permet de composer. »
Le home studio qu’elle a installé dans son appartement de l’est de Tokyo fait aussi dans le minimalisme : un PC, un clavier et des enceintes. Sur des beats répétitifs à 130 bpm qu’elle laisse tourner des heures, elle bidouille depuis dix ans des sons toujours plus improbables (le rebond de balles de ping-pong comme percussions entêtantes dans le dernier album, par exemple) et pose des mots en les débarrassant des fioritures pour trouver les messages les plus simples et limpides sur l’amour, la possibilité de se cacher des autres ou encore la confiance en soi. Sa techno lo-fi s’est affinée avec le temps et lui a permis d’extravagants mélanges. Au départ, il y eut le punk des Ramones, et plus récemment la gabber, la transe hypnotique née dans les rave-partys. Au prix de manipulations façon Dr. Frankenstein, la voici avec une nouvelle fusion : « Je n’aime pas les étiquettes, mais on pourrait dire que je produis du punk de club. » Agressif, mais dansant.
Après deux premiers albums underground parus en 2016 et 2017, Meirin dévoile Petit Petit Petit en 2019, qui lui offre une visibilité nouvelle : premiers festivals internationaux et premier concert en solo à Tokyo. Porté par l’imparable We should kiss (205 000 vues sur YouTube pour ce titre qui rappelle les Brésiliennes de CSS), l’album permet aussi de découvrir les clips faussement négligés qu’elle conçoit. Car Zombie-Chang est bien plus qu’un projet musical et fait art de tout bois. Les vidéos sont bricolées à l’envi avec des fonds verts, des filtres Instagram, des photos venues d’agence dont elle n’enlève pas les inscriptions en filigrane… Un scrapbook qui colle à l’esthétique chahutée de ses chansons puisque, sur ses boucles rythmiques, Zombie-Chang découpe et tord sa voix dans tous les sens. Preuve avec Switch, l’intro de ce STRESS de STRESS, où le « house » de la ritournelle « Switch in my house » est isolé, puis trafiqué pour ne garder que la première syllabe et la faire résonner à l’excès devenant un frénétique « ha/ha/ha/ha ». Un rire qui véhicule bien d’autres messages.
"Ne vise rien, tu découvriras ce pour quoi tu es fait plus tard.”
Rien qu’à sa tête
Dans ce nouvel opus, le titre Stress vous appuie sur les nerfs dès les premières secondes avec son rythme ultra rapide et son clavier pour amateurs de tuning des 90’s. Sauf que c’est un trompe-l’œil : le texte n’appelle pas à la tension, mais bien à la libération. Le morceau homonyme du groupe français Justice en 2013 présentait une bande nihiliste savatant, entre autres, une Twingo. Nulle violence ici puisque Zombie-Chang pointe les sources de stress pour mieux s’en affranchir : « Actuellement, même quand les gens ne sont pas trop stressés, ils sont obsédés par l’argent, la nourriture et le désir d’amour. Mais ce sont de nouvelles sources de stress. C’est un cercle vicieux dont on ne se sort pas. » Pour la Tokyoïte, l’une des solutions se trouve dans les disques et sur le dancefloor. C’est ainsi qu’elle a pensé son cinquième album, dont l’étincelle fut le concept de Karōshi, la mort par surmenage. Illustration avec le deuxième titre du disque, NOといえる元気 / NO toieru genki, une expression pour désigner l’état mental dans lequel on se trouve lorsqu’on n’a plus la force de dire « non ». « Au Japon, les gens n’osent pas dire “non” même quand ils souffrent de surmenage, regrette-t-elle.
Ils se contentent de faire bonne figure et font leur travail sans rien dire. Ils finissent par être à bout. Ça me rend très triste. Alors, comme je suis consciente de leur stress, j’ai créé cet album pour qu’ils se défoulent. » Meirin dévoile ainsi ses techniques de développement personnel en musique, fondées sur le « non » d’anticipation, car « si on ne le fait pas tant qu’on a de l’énergie, les choses ne feront qu’empirer ». Ne minimisant pas la pression de la société japonaise, qu’elle ressent également, Zombie-Chang recommande un lâcher-prise général, notamment de la part de la jeunesse : « Il faut se mettre moins de pression. Mon message pour eux, ce serait : “Ne vise rien, tu découvriras ce pour quoi tu es fait plus tard.” » Observatrice malicieuse malgré la réputation de créatrice isolée qu’elle tente de maintenir, l’artiste reste attentive aux soubresauts de son pays. Sans trop d’illusions. « La génération qui m’entoure s’efforce de résoudre certains problèmes sociaux. Par exemple, ce qui se passe pour la cause LGBT est intéressant. Ce qui m’énerve, c’est qu’il y a toujours quelqu’un pour transformer ces causes en objet marketing. Bon, ça peut sans doute amener de la visibilité et faire avancer. Mais ça m’agace. » Un léger sentiment d’inadéquation à son pays qui lui avait inspiré la chanson Take me Away from Tokyo, en 2020, et qui l’avait conduite à voyager un temps à Paris pour apprendre quelques rudiments de notre langue barbare. Finalement revenue, Zombie-Chang ne se voit néanmoins pas comme une porte-parole et tient à sa position d’artiste dégagée, libre de choisir ses combats : « J’ai du mal avec l’idée de me conformer ou de viser un but. La jeunesse japonaise est confrontée à cette inquiétude de comment apporter quelque chose à notre société. Moi, je chante qu’il ne faut pas se stresser avec ça. J’espère que mes paroles seront un soulagement pour mon public. » Et de montrer la voie : « J’avance où je veux sans me fixer d’objectifs. »
« Je veux secouer les organes des gens sur la piste. Lorsque les organes tremblent, le cœur bat, le stress s’évanouit. Je trouve que ce concept de “secouer les organes” est plutôt sexy, vous ne trouvez pas ? »
D’ailleurs, à la fin de ce cinquième effort, elle surprend en s’autorisant une chanson douce où elle dévoile sa voix chaude et enrobante sur Kaze Ni Fukarete (Emportée par le vent). Pendant quelques secondes, elle passe en ego-trip : « Peut-être que j’ai voulu montrer que je sais tout faire », dit-elle en se moquant gentiment de nous. « Plus sérieusement, j’ai évolué et, désormais, je n’exclus pas de m’orienter vers la pop. Ça peut m’intéresser maintenant. J’ai envie d’explorer d’autres champs tout en conservant mon originalité. » Une envie de sortir des standards alors que, selon elle, les musiciennes produisant seules leurs morceaux ne sont pas considérées à leur juste valeur. Le résultat de la culture des idols qui a profondément influencé l’industrie musicale japonaise. Zombie-Chang contre la pop, c’est peut-être pour bientôt.
À la française
De nouvelles expérimentations sonores qui pourraient la rapprocher encore plus de la France. Car, sachez-le, elle nous aime. Nombre de ses chansons contiennent du français comme Je ne sais pas, dont le clip montre Zombie-Chang se laissant taquiner les gencives par un praticien avant de passer de l’autre côté de la blouse en enfilant des gants chirurgicaux et un masque pour ensuite se tourner vers nous. Ses yeux rieurs plantés dans les nôtres, on a la désagréable sensation qu’elle ne va peut-être pas nous opérer que les dents. Le titre de cette chanson, c’est aussi la réponse de Meirin quand on lui demande les origines de sa passion pour l’Hexagone. Tout au plus laisse-t-elle des indices en indiquant que ce crush est déjà ancien : « La première artiste française dont je suis tombée amoureuse était Yelle, quand j’étais encore enfant. Pour moi, les artistes français ont le meilleur équilibre entre intelligence et drôlerie, et votre langue permet de dire des choses plus finement. Je peux aussi remercier l’algorithme YouTube, car c’est grâce à lui que j’ai découvert Sexy Sushi et Agar Agar. » Ce duo électro-pop parisien a d’ailleurs participé au titre T’inquiète pas sur STRESS de STRESS.
La France, c’est aussi son meilleur souvenir de concert : « C’était en 2019, à Reims, une année importante pour moi. Voir le public aussi excité par le son que je produisais alors qu’on parlait une langue différente, c’était intense. Je me suis sentie très heureuse. » Sur scène, derrière ses machines, la blonde aux platines sautille toujours micro en main. Et reste fidèle à son double jeu : doigts fins et sons épais. En Champagne ou à Tokyo, l’objectif de ses performances n’a pas bougé : « Je veux secouer les organes des gens sur la piste. Lorsque les organes tremblent, le cœur bat, le stress s’évanouit. Je trouve que ce concept de “secouer les organes” est plutôt sexy, vous ne trouvez pas ? » Avec son idée de musique émancipatrice, Zombie-Chang entend faire danser tout le monde. Même les morts-vivants.